La 5G n’a jamais été autant au cœur des préoccupations françaises. Les conditions d’attributions et le calendrier (décalé pour cause de crise sanitaire) des enchères des fréquences 5G en France sont connus et le nombre de réseaux 5G disponibles est passé à 84 dans le monde en juin 2020, selon le dernier rapport de la GSA[1].

Les services sont disponibles dans 36 pays et comprennent 46 réseaux offrant des services mobiles 5G et 29 fournissant des services fixes à domicile (Fixed Wireless Access). Au 1er mars 2020, l’Arcep et l’ANFR avaient autorisé 459 antennes 5G en bande 3,4 – 3,8GHz pour des expérimentations menées par Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free en France, les quatre opérateurs officiellement qualifiés pour les enchères 5G.

Les premières villes pré-commerciales succèderont aux tests grandeur nature et les produits atteignent une maturité commerciale avec des systèmes interopérables multi vendeurs. L’objectif fixé par la Commission européenne en 2016, d’avoir une ville 5G par pays membre en 2020 devrait être réalisé malgré le retard pris du fait de la crise sanitaire. La 5G est en bonne voie en France et nous entrons dans la dernière ligne droite avant les premiers déploiements commerciaux.

La 5G, une nouvelle génération orientée vers 3 classes de services

Cette nouvelle génération mobile est destinée, depuis les origines de sa conception jusqu’à la définition de ses capacités attendues par l’Union Internationale des Télécoms (ci-après « UIT ») dans le cadre de l’IMT 2020, à révolutionner nos usages et notre vie en général. Ses promesses se sont cristallisées autour de 3 classes de services :

  • Le très haut débit dans la continuité de la 4G ;
  • La capacité de supporter un nombre massif d’objets connectés ;
  • Les communications critiques à très faible latence et très haute fiabilité.

Derrière ces trois classes de services, se cachent les nouvelles capacités du réseau 5G en devenir. Un réseau 5G qui pourrait ainsi grâce à ses capacités étendues permettre non seulement aux usagers de bénéficier d’un confort d’expérience inégalé (ubiquité, une connectivité performante permanente et en tous lieux) mais aussi de moderniser notre industrie au sens large (transport, énergie, villes intelligentes, santé, etc.) allant des usines du futur et connectées aux véhicules autonomes ou encore par la chirurgie assistée.

La crise sanitaire que nous venons de traverser ainsi que le confinement de 50% de la population mondiale ont montré l’importance de s’appuyer sur des réseaux de télécommunications fiables et performants et ont révélé une aspiration forte à voir émerger une 5G capable de porter l’économie de l’expérience virtuelle[2].

Toutefois, la 5G est loin d’être finalisée. En décembre 2018, le 3GPP a célébré la finalisation de la release 15 et donc une première version stable de la 5G avec l’introduction d’une nouvelle couche d’accès radio. Cette première version se concentre sur le cas d’usage EMBB. La release 16 est en cours de définition depuis 2019 et sera publiée durant le 4ème trimestre 2020 pour apporter véritablement le support des communications critiques, tandis que la release 17 (prévu pour décembre 2021) apportera de nouvelles fonctionnalités dédiées « aux verticaux ». Des efforts significatifs sont donc encore attendus dans les 5-10 prochaines années en standardisation pour définir une 5G complète, ambitieuse et universelle.

Outre les efforts de standardisation, c’est toute la chaine d’industrialisation et de valeur (recherche, standard, production des infrastructures, tests, déploiements, nouveaux services, etc.) qui sera mise à contribution autour de la longue conception d’une 5G répondant aux ambitions initiales.

Des conditions nécessaires à un déploiement viable de la 5G

Afin de favoriser une France innovante et pionnière de la 5G, à l’instar de ce qu’elle fut pour la 2G, le gouvernement français a lancé en 2013 « La nouvelle France industrielle », dont l’action « recherche 5G » du plan de souveraineté télécom, opérationnelle à partir de 2014, a permis une contribution fort d’acteurs industriels et académiques dans la phase de définition de la 5G

Le CSF « Infrastructures numériques » a identifié plusieurs enjeux qui permettront de poursuivre le travail entrepris et de faire de la France un acteur majeur de la 5G, que ce soit en termes d’innovation et d’usages, en Europe et dans le monde. Pour un déploiement viable de la 5G en France et en Europe, il faudra réunir les éléments suivants :

  • Un cadre règlementaire favorable ;
  • Des fréquences disponibles, à des coûts raisonnables et un accès facilité à des fréquences pour les expérimentations ;
  • Des équipements disponibles, que ce soit en termes d’infrastructure, de terminaux ou de composant, mais aussi en termes de solutions logicielles, de « slicing » et de cybersécurité
  • Une adhérence auprès des verticaux, start-ups et PMEs ainsi que du grand public avec l’introduction de nouveaux services et usages ;
  • Des modèles économiques viables avec l’introduction de nouveaux services à valeur ajoutée
  • Un effort de recherche renforcé pour préparer le futur et expérimenter les nouveaux usages et infrastructures ;
  • Une ambition nationale forte qui visera à répondre à la fois à des enjeux sociétaux telle que l’inclusion numérique et à une volonté de modernisation de l’industrie au sens large.

Parmi ces éléments, plusieurs priorités et enjeux technologiques ont été identifiés par la filière numérique, à savoir le  slicing et ses opportunités économiques, le financement de l’innovation, la cybersécurité, le déploiement avec ses enjeux et contraintes (aussi bien sociétaux que technologiques), la question des fréquences et l’émergence de la bande 26GHz.

Le livre blanc « 5G : Stratégie et Enjeux » se focalise principalement sur les nombreux enjeux technologiques qui demeurent pour que la 5G soit une réussite. Les questions environnementales de la 5G sont traitées spécifiquement dans le document « Contribution et éclairage du CSF Infrastructures numériques sur la question environnementale associée au numérique et à la 5G » publié par le CSF infrastructures numériques.

Le CSF identifie 5 priorités et enjeux chronologiques pour faire de la France un acteur majeur européen et mondial.

1ère priorité : la mise en place de solutions de slicing de bout-en-bout au travers de plateformes d’expérimentations avec des acteurs variés

Le slicing est le fait de réaliser et d’instancier des tranches (des « slices » en l’occurrence). Il consiste à offrir, d’un point de vue réseau, des ressources quantitatives et qualitatives à la demande pour un utilisateur, un groupe d’utilisateurs ou un pour un type de service donné et de créer, ainsi, de nouveaux services différenciés et sur mesure.

La réalisation et la gestion de ces slices sont perçues comme une opportunité de modernisation de l’industrie au sens large en lui permettant d’accéder à des services sur mesures (gestion de flottes de robots dans les usines, gestion des réseaux de transports d’énergie, etc.), mais aussi comme la possibilité de créer des offres sur mesure à forte valeur ajoutée pour l’ensemble des utilisateurs, qu’ils soient des entreprises ou particuliers. Avec le découpage en slices, les opérateurs et les entreprises seront en mesure de répondre précisément aux besoins spécifiques de différents segments de clients.

Les réseaux 5G seront, à terme, en mesure de prendre en charge des exigences diverses et extrêmes en matière de latence, de débit, de capacité et de disponibilité. Le slicing 5G, permettra une multitude de services irréalisables avec les technologies sans fil antérieures. Mais pour libérer tout ce potentiel, et pour pouvoir l’offrir de manière dynamique et contrôlée, les fournisseurs de services doivent adopter une approche de bout-en-bout dans la transformation des réseaux.

Néanmoins, le slicing tel qu’envisagé comme outils au service de l’industrie et du grand public est en cours de développement. Les premières solutions standardisées arrivent alors que d’autres sont en cours d’étude. Avant une adoption par l’industrie de nouveaux services différenciés et sur mesure via le slicing, plusieurs étapes sont encore à franchir :

  • Déploiement et maitrise par les opérateurs de solutions de bout-en-bout virtualisées
  • Déploiement du nouveau réseau cœur 5G ;
  • Standardisation des classes de services à très faible latence et très haute fiabilité, voire la capacité de supporter un nombre massif d’objets connectés et le développement des produits ;
  • Définition d’un cadre règlementaire pour la mise en place de services spécifiques dit « critiques » (médecine à distance, véhicule connecté, etc.) ;
  • Adoption par l’écosystème de ces nouvelles capacités réseau et développement de nouveaux services à valeur ajoutée.

L’enjeu pour l’écosystème français est donc de préparer au mieux la mise en place de solution de slicing de bout-en-bout au travers de plateformes d’expérimentations en France avec des acteurs complémentaires  (opérateurs, équipementiers, start-up et PMEs, académiques, groupes industriels de filières différentes) pour tester des services innovants de 5ème génération comme c’est le cas à Rennes et Lannion avec le projet SENDATE[3] et 5G EVE[4] ou à Le Vaudreuil avec Schneider Electric, Orange, Nokia.

2ème priorité : le maintien de l’effort de financement de la Recherche et Développement

Pour un déploiement viable et pérenne de la 5G en France et en Europe et pour que la 5G satisfasse à terme les ambitions socio-économiques de modernisation (ville connectée, industrie 4.0, santé, etc.) établies, maintenir un effort de recherche significatif sera primordial, pour :

  • Le déploiement de pilotes expérimentaux (via l’utilisation de plateformes pérennes) permettant de tester les nouveaux usages sur les plans tant techniques qu’opérationnels ou économiques. Deux enjeux y sont adossés :
    • Le modèle économique des plateformes constitué d’un bon équilibre entre un financement public qui soit incitatif et une part privée ;
    • Le second enjeu est celui des fréquences, avec le besoin de disposer de fréquences pour les expérimentations s’inscrivant dans la durée, avec une visibilité sur leur pérennité.
  • Continuer d’améliorer fonctionnalités et performances de la 5G dont tous les objectifs ne sont pas encore atteintes dans les versions standardisées aujourd’hui, et, sur le long terme, pour préparer l’au-delà de la 5G :
    • De grands programmes européens ou nationaux ainsi que la création de projets Flasgship pourront aller dans ce sens et sont grandement nécessaires ;
    • Une présence Française significative dans les organismes de standardisation et de normalisation internationaux, en particulier au 3GPP, est fondamentale pour préserver les intérêts de souveraineté nationale et pour l’équilibre international.

3ème priorité : le développement de la cybersécurité

Les déploiements progressifs de la 5G sont fortement dépendants des conditions de sécurité offertes. Au-delà des risques et de la complexité, la cybersécurité est source :

  • D’accélération de la transformation numérique ;
  • D’attractivité de l’infrastructure numérique ;
  • De développement économique de « pure players » et fournisseurs de service de sécurité
  • De différenciateurs compétitifs.

La 5G mérite donc une stratégie de développement concomitant de sa cybersécurité. Si la sécurisation des composants matériels et logiciels est indispensable, elle demeure relativement classique. A contrario, le développement d’un contexte où les utilisateurs bénéficieraient d’une cybersécurité évaluée et quantifiée, de solutions automatisées intelligentes (Al-based Software Defined Security), ou encore la délivrance de la cybersécurité sous forme de services, répondrait à nombre de besoins identifiés de la 5G tout en étant source de forte valeur ajoutée.

4ème priorité : accompagner le déploiement de la 5G

La 5G et ses gains technologiques, comme toute nouvelle technologie, apportent leur lot d’exigences. En particulier, la 5G arrive, non pas en remplacement mais en addition des systèmes mobiles existants, le tout dans un environnement déjà contraint. Ce déploiement sous contraintes constitue un enjeu majeur pour l’écosystème et pour la France, pour faire de cette nouvelle technologie un accélérateur de modernité.

Une nouvelle architecture de bout-en-bout de transition doit être mise en place de manière à préparer l’arrivée de la 5G autonome, tout en améliorant significativement l’interopérabilité avec les systèmes existants et entre les vendeurs.

Les nouvelles antennes, amenées à être plus efficaces spectralement et énergétiquement, requièrent néanmoins un effort significatif d’intégration dans le paysage urbain du fait de leurs poids et de leur caractère « tout intégré ».

L’un des enjeux réside dans l’utilisation de nouvelles bandes de fréquences qui devront cohabiter avec celles des systèmes existants (entre autres). La configuration optimale de la 5G ne sera possible qu’avec la disparition progressive de ces anciens systèmes, condition sine qua none d’un déploiement ambitieux de la 5G.

Enfin, l’enjeu énergétique doit être au cœur du déploiement de la 5G et de ses évolutions. L’ajout d’équipement pour supporter cette nouvelle technologie est inévitable. C’est donc un enjeu crucial d’ajouter une technologie qui soit plus efficace énergétiquement. La 5G aura vocation à terme à remplacer les anciennes générations sur toutes les bandes existantes pour que l’ensemble du trafic écoulé le soit de manière plus efficace d’un point de vue énergétique. On estime que la 5G sera 10 fois plus efficace que la 4G à horizon 2025. L’effort de recherche national devra se concentrer sur ces questions de manière importante au fil du déploiement de la 5G et de ses évolutions.

5ème priorité : créer un écosystème matériel et business favorisant l’émergence de la bande 26 GHz

Si l’attention immédiate se porte sur la bande 3,5 GHz en pionnière de la 5G, la bande 26 GHz n’est pas en reste. La France a lancé des appels à projet sur 3 ans et contrairement au précédent guichet « pilote 5G », des partenaires variés ont répondu favorablement et avec ambition. Il s’agit d’un signe que la 5G est en cours d’adoption pour les usages verticaux, promue par la Commission européenne.

L’utilisation de cette bande représente de nouveaux défis technologiques importants tels que l’intégration de petites antennes ou le déploiement lui-même qui devra tenir compte des limites de propagation et de pénétration de ces ondes centimétriques.

Néanmoins, les bandes millimétriques apportent des avantages : meilleure aptitude à isoler les rayonnements, de grandes largeurs de bandes et donc de ressources disponibles.

Le développement d’un écosystème matériel et business dans la bande 26GHz constitue bien une nouvelle étape dans le développement de la 5G et une nouvelle opportunité pour l’adoption de cette technologie par l’industrie, la santé, les villes, et la société dans son entièreté.

Les attentes initiales de la 5G pourraient se résumer comme suit :

  • Apporter de nouvelles performances et permettre ainsi au client final une expérience inédite (connectivité améliorée partout et tout le temps) ;
  • Moderniser la société et l’industrie au sens large grâce à une 5G hyper flexible, au slicing, à la virtualisation et à une nouvelle génération d’usage, et ;
  • Tenir compte des enjeux sociétaux et les adresser grâce à une 5G maitrisée et sobre énergétiquement.

Afin d’atteindre les objectifs fixés, tant sur le plan des avancées technologiques promises que sur celui des enjeux sociétaux à relever, il est donc important de poursuivre les efforts entrepris tels que :

  • Financer la recherche et l’innovation en France et en Europe pour les prochaines phases de la 5G, allant au-delà du haut débit mobile et intégrant par exemple les communications critiques, pour préparer le futur, expérimenter les nouveaux usages et accompagner la transformation numérique, en particulier de l’industrie. Cela devra permettre de renforcer la mise au point de nouveaux types de partenariats stimulant l’adhésion des verticaux.
  • Favoriser la mise au point de plateformes collaboratives ouvertes pour tester l’interopérabilité entre acteurs, pour tester l’introduction de nouveaux services à valeurs ajouté et la mise au point de slices dynamiques de bout-en-bout.

Les projets annoncés par l’Arcep et le gouvernement autour de partenariat pour la fréquence 26 GHz et la mise en route des premiers réseaux 5G devraient également favoriser la mise en place de nouveaux modèles et de nouveaux usages et ainsi ouvrir la voie à une 5G flexible et optimale pour les besoins verticaux.

La Filière Infrastructures Numériques peut également aider à l’émergence, voire à la fiabilisation de ces éléments, en coordination avec d’autres CSF (par exemple mobilité, sécurité, électronique, etc.) dès lors qu’une volonté de la puissance publique est établie pour avancer ensemble comme cela a pu être le cas avec le plan souveraineté télécom.


[1] https://gsa.com/paper/lte-5g-june-2020-market-snapshot/?utm=reports4G

[2] https://www.ericsson.com/49d4b7/assets/local/reports-papers/consumerlab/reports/2020/global-report-keeping-consumers-connected-16062020.pdf

[3] https://www.celticnext.eu//project-sendate/

[4] https://5g-ppp.eu/5g-eve/